Contributions ou pensions alimentaires modifiées en appel : la modification s'applique-t-elle de façon rétroactive ?
Que deviennent les pensions ordonnées dans le cadre de votre Ordonnance de Non Conciliation (ci-après ONC) en cas d’appel ? La modification de ces pensions rétroagit-elle ?
A titre liminaire un point de vocabulaire s’impose : chaque pension ordonnée dans l’ONC a un nom spécifique et il convient de bien identifier ce dont on parle :
- La pension pour les enfants se nomme en réalité « contribution à l’entretien et à l’éducation » ;
- La pension pour l’adulte se nomme « pension au titre du devoir de secours ».
Elles sont toutes deux des dettes (ou créance) d’aliments, ce qui les distingue d’emblée des dettes de droit commun, c’est-à-dire dettes commerciales pour la plupart.
A l’inverse des dettes commerciales, les dettes d’aliment sont soumises à la règle suivante : « les aliments ne s’arréragent pas et sont consomptibles ».
« Les aliments ne s’arréragent pas » : Cela signifie que les aliments sont dus à compter du jour où ils sont demandés, généralement le jour du dépôt de la requête. Il n’y a en conséquence pas d’effet rétroactif.
« Les aliments sont consomptibles » : cela signifie qu’ils se consomment par le premier usage. Il n’y a donc en principe pas d’effet rétroactif d’une suppression ou d’une diminution.
A toute règle son exception. Que ce soit pour la « contribution à l’entretien et à l’éducation » ou « pension au titre du devoir de secours » il est possible de déroger à la règle « les aliments ne s’arréragent pas et sont consomptibles» si et seulement si, il est apporté au juge la démonstration que les faits ouvrant droit au versement (ou à la suppression) de la contribution ou de la pension sont antérieurs au dépôt de la requête (ou de vos conclusions d’appel).
Si tel est le cas, la modification sera appliquée de façon rétroactive.
Cependant, vous l’aurez compris, il s’agit là d’une exception au principe. Le départ des droits (ou leur suppression) ne peut courir de façon rétroactive si le requérant n’a pas mentionné cette prétention dans sa requête (ou conclusions).
En revanche, s’il est demandé à la Cour d’Appel de constater une évolution de la situation, une actualisation des données financières du débiteur, il n’y aura pas d’effet rétroactif : la modification ne vaudra qu’à compter de l’arrêt d’appel.
La jurisprudence suivante précise bien que la modification en appel, de la contribution ou pension ordonnée dans l’ONC, ne rétroagit pas de plein droit :
Arrêt ancien mais de principe : 1ere chambre civile de la Cour de Cassation, 14 janvier 1969 (au sujet d’une contribution à l’entretien et à l’éducation)
MAIS ATTENDU QUE, SI LA PENSION ALIMENTAIRE VISEE PAR LES ARTICLES 203 ET SUIVANTS DU CODE CIVIL NE CESSE PAS DE PLEIN DROIT AVEC SA CAUSE, RIEN NE S'OPPOSE A CE QUE SA SUPPRESSION SOIT ORDONNEE EN JUSTICE A DATER DE L'EVENEMENT QUI JUSTIFIE CETTE SUPPRESSION ;
Autre arrêt de principe : 2eme chambre civile de la Cour de Cassation, 28 novembre 1973 (au sujet d’une contribution à l’entretien et à l’éducation et d’une pension au titre du devoir de secours)
ATTENDU QU'IL EST ENCORE REPROCHE A LA COUR D'APPEL D'AVOIR FAIT RETROAGIR SA DECISION REDUISANT LE MONTANT DES PENSIONS ALIMENTAIRES A LA DATE A LAQUELLE X... AVAIT INTRODUIT SA DEMANDE ALORS QUE "LES DETTES ALIMENTAIRES NE S'ARRERAGENT PAS ET QUE LES ALIMENTS SONT CONSOMPTIBLES", QUE, PARTANT, UNE DIMINUTION DES PENSIONS N'AURAIT PU PRENDRE EFFET QUE DU JOUR DE LA DECISION ;
MAIS ATTENDU QUE L'ARRET RELEVE, D'UNE PART, QUE POSTERIEUREMENT A LA DECISION DES PREMIERS JUGES, UN CHANGEMENT ETAIT INTERVENU DANS LA SITUATION DE DAME X... QUI AVAIT TROUVE UN EMPLOI REMUNERE, D'AUTRE PART, QUE LES PENSIONS ALLOUEES PAR LE TRIBUNAL POUR L'ENTRETIEN DES DEUX ENFANTS "EXCEDAIENT QUELQUE PEU LES BESOINS DES FILLETTES EN RAISON DE LEUR AGE" ET OBSERVE QUE SI DAME X... "A CONSOMME LE TROP-PERCU EN VERTU D'UNE DECISION DONT LA MODIFICATION ETAIT SOLLICITEE, ELLE N'A PU LE FAIRE QU'A SES RISQUES ET PERILS" ;
ATTENDU QU'EN L'ETAT DE CES MOTIFS LA COUR D'APPEL ETAIT EN DROIT DE FAIRE REMONTER LES EFFETS DE SA DECISION A LA DATE DE L'INTRODUCTION DE LA DEMANDE INCIDENTE ;
Cour d’Appel de Bastia, 14 mai 2014 (au sujet d’une pension au titre du devoir de secours, versée par l’épouse au mari)
(…) EN L'ESPECE, LA DEMANDE DE RETROACTIVITE FORMULEE PAR MME X...S'AVERE FONDEE, LES DISSIMULATIONS DE M. X...ET L'ORGANISATION DE SON INSOLVABILITE ETANT ANTERIEURES A LA DATE DE L'ORDONNANCE DE NON-CONCILIATION QUI LUI A ALLOUEE LA PENSION ALIMENTAIRE QUERELLEE AU TITRE DU DEVOIR DE SECOURS.
COMPTE TENU DE L'ENSEMBLE DE CES ELEMENTS, LA COUR CONFIRMERA L'ORDONNANCE ENTREPRISE SUR CE POINT, SAUF A Y AJOUTER QUE LA SUPPRESSION DE LA PENSION ALIMENTAIRE AU TITRE DU DEVOIR DE SECOURS MISE A LA CHARGE DE MME Y... EPOUSE X..., AURA UN EFFET RETROACTIF A LA DATE DU 07 MARS 2011.
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NB : en toute hypothèse, les versements rétroactifs sont soumis à la prescription quinquennale de droit commun, c’est-à-dire que vous ne pourrez demander le versement d’arriérés que pour les 5 dernières années, le reste étant prescrit.
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Fort-de-France, le 13 juillet 2018
AARPI FOURGOUX-BOUCARD & CAMPI
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