Menu
05 96 70 00 13

Sur Rendez-vous

Cabinet de Fort de France

05 96 70 00 13

Rue Professeur Raymond Garcin
97200 - FORT DE FRANCE
( 6 Route de Didier )

Voir le plan d'accès

Demande de rappel

Vous êtes ici : Accueil > Actualités > HOMOPARENTALITE - Interview de Maître Campi par Lextimes

HOMOPARENTALITE - Interview de Maître Campi par Lextimes

Le 22 juin 2011
http://www.lextimes.fr/5.aspx?sr=321

Le tribunal de grande instance de Créteil, par un arrêt du 24 mars 2011(1), a accordé à une femme le partage de l'autorité parentale sur la fille de sa compagne. Une décision qui, selon Me Céline Campi, l’avocate du couple, se démarque de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 26 février 2006, la Cour de cassation a autorisé les couples homosexuels à partager l’autorité parentale, sur la base des articles 377 et 377-1 du code civil, « dès lors que les circonstances l’exigent et que la mesure est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant »(2). Deux conditions interprétées restrictivement par la juridiction suprême, quatre ans plus tard(3).

Maître Céline Campi revient ainsi, pour LexTimes.fr , sur l’apport de la décision des juges de Créteil, et plus généralement sur l’état de la jurisprudence en la matière. Explication de texte.


Lextimes.fr : L’arrêt de la Cour de cassation du 24 février2006 a clairement autorisé les couples homosexuels à partager l’autorité parentale à certaines conditions. Mais la décision du 8 juillet 2010 semble considérablement en limiter la portée, la haute juridiction interprétant ces conditions de façon très restrictive. Quelle est votre position sur cette jurisprudence ?

Céline Campi : Je conteste cette interprétation de la loi que fait la Cour de cassation. Dans son arrêt de février 2006, elle a accepté de prononcer la délégation-partage de l’autorité parentale aux couples homosexuels, si c’était dans l’intérêt de l’enfant et que des circonstances particulières étaient démontrées. A l’époque, personne ne s’en est beaucoup ému, bien que littéralement elle fasse déjà une interprétation restrictive de la loi : la loi dit en effet que la délégation-partage doit être prononcée quand l’intérêt de l’enfant le commande et que les circonstances l’exigent. Or pour moi, ce sont deux choses différentes : il peut y avoir des circonstances qui exigent dans l’intérêt de l’enfant qu’une délégation-partage de l’autorité parentale soit prononcée et ces circonstances peuvent ne pas être particulières.

Par exemple, toutes les situations de monoparentalité dans lesquelles le plus souvent c’est la mère qui élève son enfant, ce sont des situations très communes et pour autant, les circonstances exigent tout autant que dans le cas d’un couple homosexuel qu’une requête en délégation-partage de l’autorité parentale soit présentée. Et ce, dans la mesure où, que ce soit la mère célibataire ou la mère homosexuelle avec un enfant dont la filiation n’est établie qu’à l’égard d’elle-même, il y ait un « tiers de confiance » ou une personne de son entourage, avec laquelle l’autorité parentale peut être partagée. L’intérêt de l’enfant est évidemment d’avoir deux protecteurs plutôt qu’un seul.


« La Cour de cassation fait une interprétation très éloignée de la lettre et de l’esprit de la loi »

Dès 2006, la Cour de cassation faisait donc déjà une interprétation restrictive, mais dans les faits elle était assez large dans son acceptation des circonstances particulières. Elle reconnaît que le fait que la mère biologique ait un temps de transport assez important est une circonstance particulière. Le problème avec la décision de juillet 2010, c’est qu’elle est s’est servie de la sémantique qu’elle avait déjà utilisée, pour dire que ces circonstances particulières signifiaient en fait des circonstances exceptionnelles. En gros, elle introduit une notion de rareté. Et selon moi, la Cour fait une interprétation extrêmement éloignée de la lettre et de l’esprit de la loi.

Qu’attendez-vous des magistrats, compte tenu de la jurisprudence de la juridiction suprême?
Ce que je demande aux magistrats auxquels je présente mes dossiers, c’est d’avoir le courage de se distinguer un peu de la Cour de cassation. Je ne leur demande pas de faire la révolution, mais de respecter le travail du législateur de l’époque. Il est clair que le législateur d’aujourd’hui n’a pas la volonté d’accorder aux homosexuels les mêmes droits que les couples hétérosexuels et que cette jurisprudence de la Cour de cassation est en droite ligne des réquisitions du parquet dans ces audiences-là. Il requiert en effet systématiquement contre la délégation-partage en collant justement à cette jurisprudence.

Quel est l’apport, selon vous, de la décision du tribunal de Créteil du 24 mars 2011 ?

Bien que la magistrate ait été à moitié courageuse car elle n’a pas voulu se mettre frontalement à dos la Cour de cassation, sa décision marque une véritable évolution à mon sens ; et si la juge a été prudente dans sa rédaction, c’était aussi pour éviter un appel du parquet. En tout cas, sa décision, me semble-t-il, peut être exploitée positivement par les couples homosexuels. 

Elle a dit que l’enquête sociale avait montré que l’enfant était épanoui et donc qu’il était dans son intérêt que l’autorité parentale soit partagée entre la mère biologique et l’autre personne qui s’occupe d’elle quotidiennement. Et elle dit « de surcroît », on notera que la mère biologique se déplace régulièrement pour des séminaires qui s’étalent sur plusieurs jours, ce qui constitue des circonstances particulières. Ce qu’il faut comprendre de cette décision, c’est qu’on place au centre l’intérêt de l’enfant qui peut être mesuré par son épanouissement, la juge ajoutant qu’il y avait bien circonstances particulières, constituées par le fait que la mère biologique ait des déplacements importants pour des raisons professionnelles.

Je trouve donc que c’est une décision intéressante se distinguant de la rédaction de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui met, elle, sur le même plan l’intérêt de l’enfant et les circonstances particulières.


En fait, la Cour de cassation semble autoriser le partage de l’autorité parentale qu’en cas de situation critique ?

Oui, elle ne l’autorise qu’en cas de circonstances exceptionnelles. Mais à aucun moment la loi n’introduit cette notion de rareté. La seule ligne directrice de cet article, à l’instar de tous les articles portant sur le droit de la famille, c’est l’intérêt de l’enfant. Dès lors qu’il est dans l’intérêt de l’enfant et que les circonstances l’exigent, la délégation doit être prononcée.

Pensez-vous que la loi doit être changée sur ce point pour éviter ces interprétations divergentes ?

Je pense que la loi sur la délégation-partage est parfaitement bien rédigée et que c’est un problème d’interprétation. Historiquement, i l y avait déjà l’article 377 du code civil, qui existait bien avant la problématique de l’homoparentalité. C’est un article qui ne parle pas de délégation-partage mais de délégation pure et simple. Il s’adressait essentiellement aux situations de « cas sociaux », quand il y avait des enfants en déshérence, en danger. Les instituions d’aide à l’enfance et le conseil général pouvaient ainsi saisir le parquet civil d’une demande de délégation de l’autorité parentale. Et donc la famille pouvait être dessaisie d’une partie ou de la totalité de l’autorité parentale.

« Une situation de monoparentalité commande que l'autorité parentale soit partagée »

En 2002, un article complémentaire est apparu : c’est l’article 377-1 du code civil qui permet sur requête conjointe à deux personnes de demander la délégation-partage de l’autorité parentale au profit des deux. Clairement, cela s’adressait aux couples homosexuels, puisque comme le mariage et l’adoption de l’enfant du conjoint leur étaient interdits, c’était la seule façon de se rapprocher au quotidien de la gestion normale par un couple de son enfant. Et cet article renvoie à l’article 377, qui pose les conditions de la délégation. Du coup pour contrer l’article 377-1, on a cette jurisprudence de la Cour de cassation qui dit non, les circonstances ne l’exigent pas, il n’y a pas de circonstances exceptionnelles. Ma position est de dire : de toute façon, on n’a pas besoin de circonstances exceptionnelles, des circonstances mêmes non exceptionnelles comme une situation de monoparentalité, commandent, si on a pour grille de lecture l’intérêt de l’enfant, que l’autorité parentale soit partagée. L’enfant est toujours mieux loti quand ce sont deux personnes qui ont des devoirs et des prérogatives le concernant plutôt qu’une seule.


Entre cet arrêt du TGI de Créteil et la décision de la Cour de cassation du 8 juillet 2010 autorisant l’adoption par les couples homosexuels binationaux, pensez-vous qu’une brèche est ouverte pour le mariage homosexuel et l’adoption par les couples homosexuels ?

Uniquement si la gauche passe. L’UMP et le Gouvernement viennent de rappeler qu’ils étaient clairement contre le mariage homosexuel et la possibilité pour les couples homosexuels d’avoir les mêmes droits que les hétérosexuels pour tout ce qui concerne la filiation.

En ce qui concerne l’adoption par les couples binationaux, c’est une possibilité très restreinte juridiquement. Cela s’est passé à l’origine dans l’Etat de Géorgie, où une femme a procédé à l’adoption de l’enfant de sa compagne. La Cour de cassation a été obligée de dire que ça ne violait pas l’ordre public international, dans la mesure où en acceptant cette adoption aux Etats-Unis, ils ne violaient pas les textes internationaux dont la France est partie. Mais en réalité, cela viole l’ordre public interne…


Comment vous positionnez-vous dans ce combat en tant qu’avocate ?

Je suis tout à fait sympathisante du combat des homosexuels. Mais là ce n’est pas un travail de militant : c’est vraiment un travail de juriste et d’avocat. Je me contente de faire appliquer la loi. On nous rappelle tout le temps que le juge n’est pas législateur : même s’il y a des lois qui sont très mal rédigées, il ne peut pas prendre la responsabilité de s’en éloigner de façon trop frontale. Ce n’est plus une interprétation de la loi mais carrément une réécriture de la loi et là ça devient un empiètement au principe de séparation des pouvoirs. C’est d’ailleurs ce que j’explique à mes clientes homosexuelles, qui sont parfois assez amères quant aux décisions rendues : je me fais toujours l’avocate des magistrats en leur disant qu’ils ne sont pas des législateurs et qu’on ne peut pas leur demander, par exemple, d’approuver l’adoption alors que c’est très difficile en l’état de la rédaction de la loi. J’essaie ainsi de leur faire comprendre cette question de la séparation des pouvoirs et de mieux orienter leur combat : c’est auprès des députés, du législateur qu’il faut faire du lobbying pour que les choses changent.

Mais parfois je me sens trahie par les magistrats, car quand il s’agit de rendre des décisions très défavorables aux couples homosexuels, là ils prennent la liberté de s’éloigner complètement de la lettre et de l’esprit de la loi en élaborant des exigences qui sont purement jurisprudentielles. Or nous ne sommes pas comme aux Etats- Unis ou en Angleterre, un pays de Common Law. En France, on a un droit qui est codifié, et le juge n’a pas à le réécrire. Mais les juges du fond, dans l’ensemble, sont assez humanistes, courageux, et ouverts aux problématiques des couples homosexuels. Le parquet est en revanche toujours contre, c’est vraiment la voie de son maître. Et la Cour de cassation peut être aussi très politique…

_____
(1) TGI Créteil, 24 mars 2011.
(2) Civ.1ère, 24 fév. 2006, GAJC, 12è éd., n° 53-55.
(3) Civ. 1ère, 8 juil. 2010, n° 09-12.623, Mme F.X. et a. c/ parquet général de Douai.